LE  PAYSAGE  DU  DESENDETTEMENT 

L’aspect du paysage anthropisé résulte d’une action sur le territoire qui correspond  à une économie liant les acteurs du terrain aux décisionnaires de la gestion territoriale .En Europe il résulte de la PAC . L’esthétique du paysage , issue des actions organisées par les plans de gestion du territoire , est donc directement liée à une vision de l’économie et à sa mise en application . 

Le paysage en tant qu’objet de consommation inscrit dans un programme touristique est , lui , directement lié à une perception culturelle définissant le beau et le laid suivant des critères de subjectivité  propre à chaque culture . Pour un japonais le paysage ouvert de la Beauce est une merveille qu’il compare aux perspectives « bloquées » de son île ; pour un limousin il s’agit d’une morne plaine , pour un beauceron d’un horizon ordinaire…Il n’y a  pas lieu de se prononcer sur la pertinence esthétique d’un paysage ( susceptible d’entrer dans le programme d’un tour-operator)  mais on peut se poser la question de sa  justesse  c'est-à-dire de la bonne raison de son existence .

Dans un contexte rural , le principal fabricant du paysage , l’exploitant agricole , n’est pas celui qui en dicte l’esthétique : il la fait naître d’une pratique à 98% guidée par une vision économique en cours sur laquelle il n’a aucune prise . Contrairement aux activités paysannes aujourd’hui disparues les pratiques de l’exploitation agricole correspondent à des applications subies , non décidées , où l’exploitant obligé à de considérables investissements se trouve aliéné au remboursement de la dette .

Le paysage qui en découle porte les traces d’une violence de combat entre celui qui tente de sauver son bilan financier et la nature , sans calcul , qui tente de résister . 

Alors que la nature , par son expression de diversité , pouvait s’exprimer aussi bien dans les espaces non exploités que dans les champs et les forêts exploités , elle se trouve aujourd’hui réduite à séjourner dans les territoires en déprise , les espace du Tiers-Paysage . Ailleurs elle en est violemment chassée . Le paysage qui en découle correspond à une partition séparant l’homme de la nature de façon caricaturale et bien visible , exactement comme si l’homme , à aucun moment , ne devait faire partie de la nature .

L’avènement de l’écologie mais aussi la défaillance des systèmes économiques dominants bouleversent les visions que nous avons de notre rapport à la nature et de son exploitation destinée à assurer notre survie . Au lieu de combattre la nature il se pourrait que nous ayons intérêt à travailler en bonne intelligence avec elle . Au lieu d’endetter l’exploitant en le soumettant aux tyrannies du marché il se pourrait que celui-ci ait intérêt à organiser son économie et non à la subir . 

Que serait alors le paysage du désendettement ? Comment se positionne l’Indre et sa région entre Champagne , Boischaut et Brenne ? Comment se positionnent le Limousin , le Nord ou les Bouches du Rhône ? Doit-on parler de région ou de l’Europe à ce sujet ? Quelle échelle d’appréhension ? Existe-t-il à ce propos une différence entre le désendettement rural et le désendettement urbain ? Que signifie la  décroissance face à cette question ? Vers quelle économie nous orientons-nous ? 

L’expression « Paysage du désendettement  » a été proposée pour la première fois par un groupe d’étudiants de l’école du paysage de Versailles (Emeline Brossard ,Thomas Orssaud ,Jean-Christophe Pigeon ,Thibaut Guezais) lors d’un atelier « Grand espace rural » entre octobre 2010 et janvier 2011 sur la vallée de Chambonchard , à cheval sur l’Allier et la Creuse , le long du Cher . Atelier placé sous ma direction avec Miguel Georgieff et Matthieu Picot . 

Gilles Clément 

Paris le 13 février 2011